jeudi 9 décembre 2010

Créance de salaire différé (Article)

Article paru dans Info Agricole (novembre 2009 - n°115).

Créance de salaire différé

La créance de salaire différé suscite toujours des débats passionnés qui se terminent le plus souvent devant le Tribunal. Les décisions publiées tendent à le confirmer mais on peut se demander si les procédures judiciaires vont continuer à prospérer.

Cette interrogation est suscitée par la réforme récente de la prescription civile par la loi du 17 juin 2008 publiée au Journal Officiel du 18 juin 2008 (p. 9856). Jusqu’à la période récente, le bénéficiaire de la créance de salaire différé disposait de trente ans pour la réclamer et ce délai très long courait à compter de l’ouverture de la succession de l’exploitant (voir notamment 1re Civ. 16 juillet 1998, Bull. Civ. I n° 264). La loi nouvelle qui raccourcit considérablement la prescription change la donne.

Une prescription plus courte

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, l’action ne se prescrit plus par trente ans mais par cinq ans à compter de l’ouverture de la succession de l’exploitant (art. 2224 du Code Civil).

Le bénéficiaire de la créance ne devra donc pas oublier de la réclamer dans le nouveau délai imparti.

La règle est relativement simple quand le décès de l’exploitant est intervenu récemment.

La question est toutefois beaucoup plus délicate quand le décès de l’ascendant date déjà de plusieurs années alors que la prescription trentenaire était en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008.

I – L’application de la loi dans le temps

La loi nouvelle qui réduit de façon drastique la prescription trentenaire a pris soin de prévoir comment la nouvelle prescription de cinq ans pouvait être compatible avec l’ancienne.

Ainsi quand le délai est réduit, la prescription de cinq ans commence à courir du jour de l’entrée en vigueur de la loi sans que la durée totale de la prescription puisse excéder le délai de trente ans (article 26 de la loi du 17 juin 2008).

A titre d’exemple, si le décès de l’exploitant date du 1er avril 1982 et à supposer que la créance n’ait pas été réclamée, le délai de cinq ans court à compter du 19 juin 2008 mais l’action ne sera prescrite pour le bénéficiaire que le 1er avril 2012, soit à l’expiration du délai de trente ans.

En revanche, si une action a été introduite avant le 19 juin 2008, l’action est poursuivie et jugée par application de la loi ancienne tout au long de la procédure, y compris en appel et en cassation.

Une sérieuse difficulté cependant demeure : quel est le point de départ de la nouvelle prescription ? Cette question n’a pas de solution certaine pour le moment selon les hypothèses rencontrées.

II – Le point de départ de la nouvelle prescription quinquennale

Cette simple question suscite en réalité deux sortes de difficultés même si, a priori, le point de départ de la prescription est en principe l’ouverture de la succession de l’exploitant.

1/ La date de décès de l’exploitant

Les dispositions particulières concernant la créance de salaire différé n’ont pas été modifiées et la jurisprudence de la Cour de Cassation a toujours décidé que la créance ne naît et ne devient exigible qu’au jour du décès de l’ascendant exploitant.

C’est donc bien la date de ce décès qui constitue le point de départ de la nouvelle prescription. Cependant, la loi du 17 juin 2008 a précisé que le point de départ de la prescription correspond « au jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (article 2224 du Code Civil).

Il est probable qu’un bénéficiaire de créance de salaire différé soutiendra pour échapper à la prescription qu’il n’avait pas connaissance de la date de décès de ses parents au motif qu’il était fâché avec eux depuis des années et qu’il résidait à l’étranger.

Quelle solution sera alors retenue ? La date du décès de l’exploitant ou la date à laquelle le bénéficiaire de l’exploitant a effectivement eu connaissance du décès de son auteur ?

2/ Quelle date de décès retenir en présence de deux coexploitants ?

La situation des deux parents coexploitants est banale et la Cour de Cassation s’est déjà prononcée sur ce cas : pour la Haute juridiction, il n’existe qu’un seul contrat de salaire différé et le bénéficiaire de la créance peut la réclamer dans l’une ou l’autre succession des parents (Civ. 1re, 7 novembre 1995, JCP 1998 N, p. 722 note D.G. BRELET).

La créance naît au décès du premier des parents, mais elle peut être demandée et exigée lors du règlement de la première succession ou seulement après le décès du deuxième parent au cours du règlement de la seconde succession. Mais à cette date la créance ne sera-t-elle pas prescrite, si le décès du second parent intervient plus de cinq ans après le décès du premier ?

Dans ce cas, le bénéficiaire de la créance ne devra pas attendre et réclamer sa créance dans le délai de cinq ans à compter de la disparition de son premier parent. Mieux vaut tenir que courir selon le dicton.

Pour autant, cette solution n’est guère satisfaisante ; pourquoi ne pas suggérer l’application d’une double prescription. Passé le délai de cinq ans à compter du décès du premier parent, il ne serait plus possible de réclamer la créance dans sa succession.

En revanche, cette réclamation serait possible au cours du délai de cinq ans du règlement de la succession du second parent à supposer que l’actif soit suffisant pour la payer.

Cette proposition de solution est assez conforme aux situations rencontrées où les héritiers en présence du conjoint survivant attendent son décès pour demander leurs parts et régler alors les successions des deux parents.

Cette solution est aussi la plus favorable pour résoudre le cas où les parents ne sont pas exploitants en même temps mais l’un après l’autre.

3/ Le cas des deux parents exploitant successivement

Dans cette hypothèse, la Cour de Cassation considère qu’il n’existe qu’un seul contrat de salaire différé et le bénéficiaire peut exercer son droit de créance sur l’une ou l’autre des successions, mais dans la limite d’une période de dix ans (Civ. 1re, 23 janvier 2008, Bull. Civ. I n° 29).

Il est courant que le second parent reprenne l’exploitation après le décès du premier. Quelle solution adopter si celui qui poursuit l’exploitation décède lui-même dix ans après alors que le descendant a travaillé pour lui pendant six à sept ans ? Peut-on vraiment reprocher à ce dernier de ne pas avoir fait valoir sa créance (en totalité ?) au décès de son premier parent et considérer celle-ci prescrite cinq ans après ?

Le bon sens commande que le bénéficiaire de la créance réclame son règlement au décès du second parent, sachant en outre qu’il est probable que la succession du premier parent n’aura pas encore été liquidée et réglée.

Il disposera alors d’un délai de cinq ans à compter du second décès pour faire valoir son droit.

Les recours judiciaires sur la question de la créance de salaire différé vont-il prendre fin ? En toute hypothèse, sur la question de la prescription, le débat est loin d’être clos.

Denis BRELET (Avocat à la Cour)
  

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